Quelle contribution le patrimoine peut-il apporter au développement de l’Afrique ? Un projet de recherche, associant la Faculté d’architecture de l’ULB et l’École du patrimoine africain (EPA), a apporté une réponse plurielle à cette question.
Valorisation du patrimoine, développement touristique, aménagement urbain, essor économique, toutes ces composantes apparaissent dans ce projet réalisé entre 2016 et 2022, sous la coordination de Victor Brunfaut (ULB) et Franck Ogou (EPA), et donnant naissance à un programme de formation inédit.
Nous vous proposons un focus sur ce projet, un peu plus d’un an après sa clôture. Nous avons rencontré Yves Robert, son gestionnaire belge et par ailleurs professeur à la Faculté d’architecture de l’ULB. Dans cet entretien, il évoque les principaux résultats obtenus, notamment l’importance pour l’institution béninoise de pouvoir compter sur les trois docteur·es, formé·es durant ce projet. L’EPA conforte ainsi son positionnement sur le continent africain et poursuit sa stratégie de valorisation de patrimoine, tant au Bénin que dans d’autres pays d’Afrique.
MOOVE : Quels sont les principaux résultats que vous pouvez mettre en avant à propos de ce projet ?
Yves ROBERT : Il serait prétentieux de cibler tels ou tels faits et d’en conclure qu’ils sont les résultats directs de notre projet. Néanmoins, nous pouvons affirmer qu’il a permis de développer, au sein de l’EPA, de nouvelles approches sur des enjeux patrimoniaux qui ont bénéficié d’une forte attention pendant 5 ans.
Par ailleurs, un des acquis dont nous sommes fiers, c’est d’avoir permis à trois étudiant·es de réaliser une thèse de doctorat. Initialement, la mission de l’EPA n’est pas de faire de la recherche. Mais cela évolue, conformément aux ambitions de ses autorités, et la dimension « recherche » en fait partie. L’intégration de l’école au sein de l’Université d’Abomey Calavi (UAC) a aussi permis d’accentuer ces activités de recherche.
Notre projet s’inscrit dans l’esprit du temps et les trois doctorats sont en phase avec cette dynamique.
Jéronime Zanmansou a travaillé sur la relation entre patrimoine et aménagement du territoire. Avec cette thèse, l’EPA élargit son expertise au patrimoine immobilier, ce qui est important pour appréhender le patrimoine dans ses dimensions sociale, économique, touristique et culturel. Jéronime est désormais gestionnaire du patrimoine à l’EPA.
Pour sa part, Barpougoumi Mardjoua a étudié le rapport entre archéologie et territoire, dans ses grandes dynamiques. Il ne conçoit pas l’archéologie comme une simple recherche de l’objet rare mais il la transpose dans un contexte urbain à plus grande échelle. Il a ajouté une réflexion urbanistique et économique à l’échelle d’une ville. L’une des grandes réussites de sa thèse est d’avoir pu mener des fouilles archéologiques au sein des Palais royaux d’Abomey, qui traditionnellement sont des territoires sacrés. Barpougoumi est actuellement professeur dans le département archéologie à l’UAC.
Enfin, Lamatou Daouda a travaillé sur la ville de Nikki, au nord du Bénin. En tant que géographe, elle a été sensibilisée aux enjeux du patrimoine. Elle a travaillé tant sur des paysages urbains hautement culturels intégrant des lieux sacrés que sur des lieux sans marqueurs patrimoines importants mais symboliquement forts.
Elle a travaillé avec une approche bottom-up. Elle a par exemple sollicité les populations pour qu’elles dessinent elles-mêmes les cartes géographiques. L’image du territoire local est donc issue de focus group. Ça bouscule les approches traditionnelles de la cartographie.
Sa thèse a amené une réflexion sur la méthodologie de la cartographie en géographie. La cartographie n’est pas uniquement une question de relief mais aussi de géographie humaine, avec une implication des « sans-voix ». Aujourd’hui, elle est également enseignante à l’UAC.
Avec ces trois doctorant·es, nous avons une nouvelle génération de chercheur·es qui bouleversent les méthodologies d’approches des enjeux entre patrimoines et territoires.
MOOVE : Le projet a également permis la création d’un centre de compétences à l’EPA. Que devient-il ?
Yves ROBERT : Le centre de compétences est désormais actif au sein de l’UAC puisque l’EPA a intégré l’université. Le centre ne bénéficie pas d’énormément de moyens mais il organise diverses activités, comme des séminaires, des présentations de travaux de recherche d’enseignants ou d’étudiants.
MOOVE : Les autorités béninoises ont-elles conscience des potentialités de l’architecture et du patrimoine dans le développement du pays ?
Yves ROBERT : A nouveau, ce serait prétentieux de notre part de dire que le projet a eu un impact sur la société béninoise. Par contre, je confirme que notre projet s’inscrit pleinement dans l’air du temps.
Le Président béninois, Jean Talon, a une politique très volontariste en matière de culture et de patrimoine avec, notamment le projet de créer quatre grands musées. Le Bénin fait de la culture un élément majeur de son développement futur et cela passe par le tourisme culturel. Cette démarche fait sens au regard de l’évolution globale de l’Afrique de l’ouest, où des pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont de moins en moins visitables actuellement. Le tourisme international se replie vers la zone côtière avec le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Togo et le Ghana comme points de chute.
L’existence d’une école spécialement dédiée au patrimoine panafricain sur son territoire intéresse particulièrement les autorités. L’EPA est ainsi régulièrement consultée pour des conseils, notamment sur la question du retour des objets culturels au Bénin.
MOOVE : L’EPA a-t-elle l’occasion de faire valoir sa renommée à l’international ?
Yves ROBERT : Oui, sans hésitation. L’une des principales missions de la direction est de circuler en Afrique pour proposer ses conseils aux différents Etats, aux municipalités sur la gestion de leur patrimoine. L’EPA a récemment fait des missions au Rwanda, en RDC, au Togo… Les synergies sont constantes.
MOOVE : La renommée de l’EPA et l’importance accordée au patrimoine au Bénin ont-elles une influence auprès des jeunes béninois dans leurs choix d’études ?
Yves ROBERT : Oui, surtout depuis que l’EPA propose des formations en patrimoine ouvertes aux étudiant·es de différentes disciplines à l’UAC. Le public de l’EPA s’est donc considérablement élargi. L’intérêt vient aussi de la qualité des cours, dispensés par des enseignants africains. Il y a une jeune génération extrêmement active et ouverte aux différentes disciplines du patrimoine.