En République démocratique du Congo (RDC), les ravines provoquées par les pluies intenses défigurent les villes, détruisent routes et habitations, et menacent directement des centaines de milliers de personnes. Ce phénomène, longtemps sous-estimé, fait désormais l’objet d’une reconnaissance scientifique internationale : une étude menée par deux chercheurs congolais vient d’être publiée dans la revue Nature, accompagnée d’un éditorial soulignant l’ampleur du problème dans le contexte du changement climatique.
Cette publication marque une consécration pour l’équipe du projet Prevention and Mitigation of Urban Gullies (PREMITURG), un programme associant l’ULiège, la KULeuven, l’Université officielle de Bukavu (UOB) et l’Université de Kinshasa (UNIKIN). En août 2025, les travaux des deux doctorants congolais du projet, Guy Ilombe Mawe (UOB) et Eric Lutete Landu (UNIKIN), ont été publiés dans Nature. Une première pour une étude consacrée à ce phénomène en RDC.

Un risque croissant pour les villes congolaises
Entre 2018 et 2022, PREMITURG a conduit la première analyse d’envergure sur les ravines urbaines à Kinshasa, Bukavu et Kikwit. Ces gouffres, qui apparaissent et s’étendent rapidement après les fortes pluies, se multiplient dans les villes tropicales dépourvues d’infrastructures adéquates pour gérer les eaux de ruissellement.
« Dans un contexte de changement climatique, précise Eric Lutete, ingénieur agronome à l’UNIKIN, le ravinement est un problème sérieux pour les villes tropicales, notamment celles qui sont sur des substrats sableux comme Kinshasa et d’autres villes similaires en RDC. Le problème est sérieux car cela affecte le plus souvent des personnes vivant dans des zones marginalisées, sur des collines. Ces personnes n’ont pas d’autres choix que d’habiter dans ces zones pour des raisons économiques, même si ces zones ne sont pas aménagées pour du logement. Elles sont donc confrontées directement aux dommages causés par les ravinements, la destruction de leur habitat, le stress permanent et la perte de vies humaines. Avec les tendances futures du changement climatique, les événements extrêmes vont se multiplier, ce que confirment nos recherches, avec le risque accru de dégâts majeurs. »

Encadré par Matthias Vanmaercke (ULiège et KULeuven), Aurelia Hubert-Ferrari (ULiège) et Fils Makanzu Imwangana (UNIKIN), le projet a abouti à une cartographie inédite du phénomène et à une première estimation nationale de son impact. Les résultats sont alarmants : près de 3 000 ravines progressent dangereusement dans 26 villes de la RDC. L'étude recommande par ailleurs l’urgence de développer des outils de prévention et des stratégies d’aménagement urbain résilientes pour protéger les communautés.
« Avant le projet PREMITURG, explique Matthias Vanmaercke, coordonnateur belge de ce projet de recherche, nous avions un géohazard (ou géorisque) inconnu. Bien sûr, la population congolaise a connaissance des problèmes, mais l’information n’est pas quantifiée. Nous avons travaillé sur la quantification des événements, sur la cartographie des ravins et sur les conséquences pour cette population : combien de personnes vivent dans ces zones ? combien de personnes perdent leur maison par année ? C’est ce travail qui a été publié dans Nature : non pas un recensement d’accidents rares, mais plutôt une illustration d’un problème systématique sur une échelle très grande. A Kinshasa, plus de 3 millions de personnes vivent dans des zones d’expansion potentielles, et 12 000 personnes perdent leurs maisons chaque année à cause de l’expansion de ces ravins. Dans les analyses que nous avons effectuées, et qui sont présentées dans Nature, nous évoquons l’évolution exponentielle des dommages, ce qui montre que le futur est sombre. »
Un long processus avant publication
L’étude publiée dans Nature est l’aboutissement de plusieurs années de travail. Guy Ilombe Mawe se souvient : « Le point de départ de tout cela, c’est en 2018. Dans le cadre de mon TFE de master supervisé par Matthias Vanmaercke, nous avons commencé à cartographier les ravines et nous avons fait le constat que près de la moitié des grandes villes de RDC étaient affectées par ce problème. Nous avons été les premiers à documenter ce problème et à le quantifier de manière aussi précise. »
« Les premiers commentaires des trois reviewers de Nature étaient positifs pour une publication, rappelle Matthias Vanmaercke, même s’ils avaient de nombreux commentaires sur la manière de quantifier les zones à risques, sur les raisons du taux d’expansion des ravins. Nous avons dû faire une mise à jour totale de notre base de données, nous avons aussi analysé les impacts à l’échelle nationale et non pas seulement sur Kinshasa et nous avons modélisé nos calculs. A chaque fois, les reviewers faisaient des commentaires. Il y a eu ainsi quatre aller-retours sur une durée de plus ou moins deux ans. Les échanges étaient positifs mais chaque demande était très stricte. »
Pour les deux chercheurs congolais, cette publication change la donne. « L’impact de cette publication ? En ce qui me concerne, à Bukavu, elle a contribué à la reconnaissance de mes collègues et à la réputation de mon Université (UOB), précise Guy Ilombe Mawe. Cette publication permet d’ouvrir des portes également, auprès des autorités et des bailleurs de fonds. »
« En tant qu’agronome, explique Eric Lutete, j’ai eu beaucoup de commentaires décourageant de la part de mes collègues qui estimaient qu’en travaillant sur les ravines, que je m’écartais de la science. Après la publication, tout le monde a compris le sérieux de la recherche. »

Un éditorial dédié dans Nature
La revue a également consacré son éditorial du 27 août 2025 à ces travaux, saluant l’importance sociétale de l’étude et les défis rencontrés par les chercheurs des pays du Sud.
« Il est exceptionnel que des articles soient publiés dans une revue aussi prestigieuse, tient à préciser Matthias Vanmaercke, et plus encore lorsque des chercheurs congolais, formés dans le cadre du projet, en sont les premiers auteurs. Ce qui nous remplit d’une fierté particulière, c’est que les éditeurs de la revue ont également consacré l’éditorial du numéro du 27 août 2025 à nos travaux. Nature souligne l’importance pour la société, tout en reconnaissant les défis considérables qui accompagnent souvent la recherche dans les pays du Sud.»
Après PREMITURG, deux nouveaux projets soutenus par l'ARES et le VLIRUOS
Fort de cette visibilité internationale, le consortium poursuit ses travaux. Depuis septembre 2025, le projet CO-URGENT, financé par l’ARES et coordonné par Charles Bielders (UCLouvain) et Guy Ilombe Mawe, vise à créer un Observatoire congolais des ravines urbaines.
« Nous allons mettre en place un réseau d’observateurs citoyens… Notre objectif est de connaître les seuils de pluie qui déclenchent les expansions de ravines et de mettre sur pied un mécanisme d’alerte précoce », détaille Guy Ilombe Mawe.
Un second projet, SUGAR, financé par le VLIR-UOS, évaluera les stratégies les plus efficaces pour prévenir et contrôler l’érosion à Kinshasa.
Ces initiatives témoignent de la complémentarité entre les programmes de coopération financés par l’ARES et le VLIR-UOS, et de la synergie croissante entre universités congolaises et belges, francophones comme néerlandophones.