La qualité d’une formation dépend étroitement de la qualité des équipes dirigeante et pédagogique d’un établissement. Cette qualité s’acquiert collectivement au contact d’autres équipes dirigeantes. En Equateur, une recherche menée en collaboration avec les écoles dispensant une formation technique et professionnelle s’intéresse de près aux communautés d’apprentissage, lieux d’échanges et d’inspiration entre pairs.
Virginie März est chercheuse à l'UCLouvain. Depuis 2023, elle coordonne également un Projet de Recherche pour le Développement - Sustainable educational leadership in Ecuador - associant l’UCLouvain et l’Universidad andina Simon Bolivar, à Quito en Equateur. L’objectif ? Contribuer à la qualité de la direction des établissements scolaires en Équateur.
Les écoles équatoriennes proposant des programmes d’enseignement et de formation technique et professionnelle (EFTP) dans le secondaire supérieur sont confrontées à des taux d’abandon élevé et à une inadéquation des compétences entre les besoins du marché et ce que le programme scolaire propose. En conséquence, un grand nombre d’étudiant·es connaissent une transition difficile entre l’école et le travail.
Des études internationales confirment ce constat et démontrent qu’un leadership scolaire efficace a un effet positif sur le bien-être et les résultats des élèves.
C’est une stratégie peu couteuse d’amélioration de l’apprentissage car il s’agit simplement de mettre en place une organisation plus efficace avec les enseignant·es déjà présent·es dans les différents établissements équatoriens.
Lors d’une mission récente à l’Universidad andina Simon Bolivar, Virginie März, coordinatrice belge de ce projet, a accordé une interview à Christian Jaramillo, directeur de l'Espace Education de cette université mais aussi coordinateur équatorien du même projet.
Christian Jaramillo - Bienvenue Virginie ! Nous sommes très heureux de vous accueillir. Parlez-nous de votre domaine de recherche ?
Virginie März - Je suis chargée de cours à l'UCLouvain au sein de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, avec une spécialisation en sciences de l'éducation. En tant que chercheuse, je m'intéresse à l'étude des processus de changement. Mon sujet principal, lié aux processus d'innovation éducative, est la manière de mettre en œuvre des réformes dans les organisations scolaires et, deuxièmement, le développement professionnel et le leadership des enseignant·es. Je souhaite donc vraiment comprendre comment les deux se complètent. En d'autres termes, j’essaie de comprendre comment, avec une réelle amélioration des écoles, nous pouvons stimuler le développement du leadership et des enseignant·es, mais aussi comment le renforcement des capacités des enseignant·es peut contribuer à la qualité des écoles. Ceci constitue la priorité de mes recherches.
CJ - Lorsque nous parlons de développer le leadership des enseignant·es pour améliorer la qualité des écoles, comment voyez-vous la corrélation entre les deux ? Qu'est-ce qui est prioritaire, les besoins du développement des enseignant·es ou les besoins de l'institution ?
VM - C'est une question difficile. Selon des recherches internationales, mais selon des études réalisées dans le contexte équatorien, je pense qu'il est important d’investir dans le développement professionnel et le leadership des enseignant·es. Les générations futures d'étudiant·es ont besoin d'une éducation de qualité. Pour cela, il faut des chefs d'établissement d'école de qualité, qui possèdent les aptitudes et les compétences nécessaires pour y contribuer. Ainsi, pour pouvoir mettre en place des réformes ou réfléchir à l'amélioration des écoles, il faut des équipes de direction capables de contribuer à atteindre la qualité attendue.
CJ - Si l'on vous demandait de concevoir un programme visant à développer les compétences dans le domaine des enseignements et du management, par quoi commenceriez-vous ? Pourriez-vous décrire votre processus ?
VM - Dans tous les cas, il faut adapter le programme au contexte équatorien. C'est très déterminant. En recherche, nous savons ce qui fonctionne et ce qui est efficace en matière de formation, mais nous oublions souvent les besoins réels d’un contexte spécifique. Nous devons donc commencer par là. La promotion du leadership est importante, mais ce n'est pas la même chose de promouvoir le leadership dans le contexte européen que dans le contexte équatorien. En tant que chercheure et formatrice, je pense qu'il est très important de développer un projet en fonction du contexte. Il nous incombe d'adapter les pratiques aux besoins du contexte local. Ensuite, je pense que nous devons comprendre que la formation est le résultat d’une collaboration entre les chercheur·es et les personnes qui participent à ces programmes de formation. En d'autres termes, les chercheur·es savent ce qui fonctionne grâce à la collaboration avec les acteurs locaux pour consolider la formation. Pour moi, la création d’un système de collaboration impliquant les directeurs·trices et les enseignant·es est importante.
CJ - Lorsque vous développez un programme de formation, comment susciter l'intérêt des participant·es?
VM - Si nous parlons des enseignant·es et des directeurs·trices d'école comme les deux groupes de personnes à former, nous devons dépasser les pratiques habituelles. Ils et elles n’ont pas le temps de participer à un programme de formation traditionnel. Notre constat, issu de la recherche mais aussi de la pratique, est l’intérêt de formations via des communautés d'apprentissage professionnel. Nous créons des groupes d'enseignant·es et de directeurs·trices qui se réunissent une fois par mois. A cette l'occasion, ils échangent et s’inspirent mutuellement. Une communauté se construit. C’est une stratégie efficace Il est important de créer un processus d’apprentissage adapté à leur pratique et à leur vie professionnelle et qu’ils peuvent combiner avec leur travail quotidien. La dimension collective est importante pour les directeurs·trices d'école dont le travail est assez solitaire, en fin de compte. Pour ce public, les communautés d'apprentissage sont très précieuses. C’est une occasion d'échanger avec d’autres personnes, de se questionner. Cela leur permet d'avoir accès à un soutien un peu plus informel.
CJ - Vous mentionnez ces communautés d'apprentissage professionnel comme un moyen de renforcer les initiatives de développement professionnel des enseignant·es. Comment voyez-vous cela ?
VM - Ces communautés d'apprentissage ne cherchent pas seulement à générer des discussions. Elles contribuent également au renforcement des capacités. Nous proposons un programme structuré. Lors de chaque session, nous discutons d'un sujet spécifique. C’est la règle ! Mais ce qui est enrichissant, c'est qu'ils apprennent entre pairs, en écoutant les expériences d'autres enseignant·es, d'autres directeurs·trices d'école. C’est vraiment inspirant. Ces communautés servent donc à former tout autant qu’à construire des relations. Ce constat s'appuie sur des recherches que nous menons actuellement en Équateur. Les directions d’école nous ont fait part de l'importance d'être en contact régulier avec d’autres directions. Les communautés d'apprentissage professionnel sont périodiques mais les liens entre les directions doivent être constants. Ces communautés permettent qu’une collaboration naturelle se construise. Pour nous, c'est important d’entendre de leur bouche « cela m'a aidé à ne pas me sentir seul dans mon travail et à avoir la possibilité de communiquer avec mes collègues lorsque je suis confronté à des situations difficiles ».
CJ - Quelles sont les questions évoquées dans ces groupes ? Que représente le fait d’être soutenu et accompagné ?
VM – Le regard critique sur le travail de chacun est fréquent dans ces groupes. Une autre compétence souvent évoquée est la collaboration. Car dans ces communautés d'apprentissage professionnel, le développement des compétences de collaboration est vécu comme primordial. Il est important de comprendre la notion du travail d’équipe et l’intérêt qu’ont les écoles à se construire ensemble. Car l’amélioration de la qualité des écoles, passe par un travail mené collectivement. Les communautés apprennent à collaborer, apprennent à prendre des décisions éclairées et basées sur la réalité des écoles, sur les résultats des élèves, sur les données d'enseignement.
CJ - La question de l'innovation scolaire est très importante pour vous. Quelle est votre expérience en Équateur ?
VM - Nous avons lancé ce projet de recherche en collaboration avec votre université et une université de Cuenca en janvier 2023. Il porte sur le leadership éducatif durable. Dans ce projet, nous voulons comprendre comment ces communautés d'apprentissage professionnel contribuent au développement des enseignant·es et du leadership. Nous voulons également comprendre comment elles contribuent à l'amélioration des écoles. Et pour ce faire, nous avons trois stratégies. Nous avons commencé par la recherche. Nous travaillons avec trois doctorants équatoriens qui analysent les communautés d'apprentissage professionnel et les données que nous avons collectées ensemble. Nous allons également investir dans les capacités de ces chercheurs. Nous voulons vraiment former un groupe de recherche sur le leadership. C'est la première stratégie. La seconde stratégie est la formation des conseiller·ère·s au sein des communautés d'apprentissage, ainsi que des coordinateurs·trices et des directeurs·trices. La troisième stratégie est l'analyse et le partage des connaissances. Avec ce projet, nous avons cinq ans pour faire de la recherche, bien entendu, mais aussi pour sortir de l’université. Nous voulons nous rapprocher de la communauté et avoir un impact sur les écoles équatoriennes. Nous ne le faisons pas pour nous, nous le faisons pour les étudiant·es et pour toutes les personnes qui travaillent dans les écoles équatoriennes. C'est l'ambition de ce projet.
CJ - Quelles sont vos attentes à l'égard de ce projet ? Et qu’apprenez-vous dans le cadre de vos missions en Equateur ?
VM - Il est important de rappeler qu'il s'agit d'un travail conjoint. Les deux parties, équatorienne et belge, vont apprendre mutuellement dans le cadre de ce projet. En tant que chercheure intéressée par le développement professionnel des enseignant·es, il est évident que je vais apprendre beaucoup en collaborant avec vous. En ce qui concerne les attentes, j'espère qu’avec ce projet, l’Universidad andina Simon Bolivar deviendra l'université numéro un en matière de leadership académique. Il est important de former un groupe de recherche composé d'expert·es en la matière. Pour moi, il ne s’agit pas d'un simple projet de recherche. Au terme des cinq ans, j’espère que les chefs d'établissement, les conseiller·ères et les enseignant·es se sentiront mieux préparés, auront le sentiment d'avoir les compétences nécessaires pour faire face à leur responsabilité et se seront sentis soutenus par ce projet.
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- Visionnez l'interview de Virginie März par Christian Jaramillo : ici