Décoloniser la recherche et l'enseignement. La nécessité de développer des collaborations fondées sur la reconnaissance mutuelle

De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une collaboration académique réellement équitable entre le Sud global et le Nord global. Encore aujourd’hui, les partenariats restent marqués par des déséquilibres hérités du passé colonial, les institutions académiques du Nord global gardant la main sur la gestion des projets, laissant peu d’initiatives aux partenaires du Sud global sur les orientations de la recherche.

Le 13 novembre 2025, lors d’un Midi de l’ARES, un espace de réflexion a été ouvert autour d’une réalité incontournable : les logiques coloniales persistent encore aujourd’hui dans la coopération académique internationale. Celles-ci se manifestent par la domination du système académique occidental, l’invisibilisation des savoirs ancrés et des déséquilibres structurels qui influencent nos pratiques.  

Décolonisation de la recherche
Le public a apprécié la franchise des débats et des témoignages sur un sujet sensible, inscrit dans l'histoire des relations coloniales. 

Pour l’ARES, décoloniser la recherche, c’est remettre en question ces mécanismes matériels, institutionnels et épistémiques afin de renforcer l’intégrité scientifique, diversifier les méthodologies, ouvrir de nouvelles opportunités de formation et de financement, et construire des partenariats réellement équilibrés.

Mais le défi est de taille : comment éviter que la décolonisation ne reste une rhétorique confortable sans transformation réelle ? Comment impliquer davantage les chercheuses et chercheurs du Sud global dès la conception des projets ? Comment partager équitablement responsabilités stratégiques et budgétaires ? Comment accorder une place durable aux savoirs ancrés et situés au cœur des projets de recherche ?

En tant que représentantes d’établissements, checheur·es ou étudiant·es, les intervenantes et intervenants ont apporté·es des éclairages institutionnels et professionnels, ainsi que des perceptions personnelles sur le sujet.

Marie-Annick Gournet (Université de Bristol - UK) a présenté deux initiatives qui s’attaquent aux inégalités structurelles profondes qui façonnent la production mondiale du savoir.

"Le programme Reparative Futures que je dirige, vise, à travers une série d'initiatives ciblées, à réparer certaines des injustices systémiques découlant de l'esclavage africain. Par ailleurs, la Charte africaine pour des collaborations de recherche transformatrices, élaborée conjointement par des institutions et des organismes majeurs de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche en Afrique. Cette Charte, signée par une centaine d’institutions, vise quant à elle à renforcer la contribution du continent africain à la production du savoir scientifique, à l’échelle mondiale. Dans mon engagement académique, je me pose la question de savoir comment la recherche et l’enseignement supérieur peuvent dépasser la simple inclusion pour aller vers un véritable partage de pouvoir."

Emery Mudinga (Institut Supérieur de Développement Rural – Bukavu – RDC) a partagé son expérience personnelle. Tout d’abord chercheur impliqué dans des projets collaboratifs avec diverses universités belges, il est aujourd’hui coordinateur du projet de recherche Acteurs 'periphérisés' et luttes d’accès aux ressources naturelles en RDC : vulnérabilités et résiliences, en binôme avec An Ansoms (UCLouvain).

Ces multiples expériences lui permettent de porter un regard lucide et critique sur l’équité des partenariats dans le cadre des projets soutenus par l’ARES. Lors de son intervention, il a mis en évidence plusieurs points qui déséquilibrent trop fréquemment la relation partenariale : la place privilégiée de l’université du Nord (dite porteuse de projet), le pouvoir des coordinateurs et coordinatrices Nord, la faible redevabilité de l’ARES vis-à-vis des partenaires Sud ainsi que la politique des bourses locales octroyées aux doctorant·es effectuant leur thèse dans le cadre d’un projet de l’ARES.

Dépassant le stade des constats, Emery Mudinga a également fait des propositions pour rééquilibrer le pouvoir entre les partenaires.

"La co-définition de l’agenda de recherche, la mise en place d’une gouvernance partagée, la valorisation des savoirs locaux, la reconnaissance équitable des chercheurs du Sud et la création d’une culture de réflexivité et de dialogue sont des étapes nécessaires. Cette évolution partenariale est un défi collectif : bailleurs, chercheurs, institutions, jeunes boursiers, Européens et Africains, nous avons tous un rôle à jouer pour déconstruire les réflexes coloniaux et bâtir des partenariats fondés sur le respect, la co-création et la reconnaissance mutuelle."

Wendy T. Liebermann (Ecole de recherche graphique – Bruxelles – Belgique) a présenté le projet pédagogique institutionnel et politique de l’ERG, ainsi que l’approche des partenariats équitables telle que pratiqué au sein de son institution, avec ses partenaires au Sénégal, au Cameroun et en RDC.

"En tant qu’école supérieure des arts, l’école, nous la proposons comme un vécu et un lieu d’expérimentation. Les dispositifs pédagogiques et institutionnels sont pensés et réagencés en permanence pour produire une manière d’être en relation au monde, inventer des espaces de résistance et d’alliance mais aussi des espaces qui habilitent les personnes à devenir des citoyen·nes responsables, capable d’agir et de créer des liens non discriminants. A l’ERG, les projets de coopération académique sont le résultat de rencontres qui se sont déroulées dans le cadre informel, faisant naître un souhait partagé de faire exister une collaboration ancrée dans le temps long et commun."

Serge Matuta (Académie des Beaux-Arts de Kinshasa) et Adelaïde Renou (Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles) ont enfin partagé leur expérience de collaboration juste, respectueuse et créative dans le cadre d’un micro-projet de l’ARES, « Histoires de Miroirs ».

"Dans ce projet de recherche, l’intention est d’interroger l’histoire commune en impliquant les étudiant·es des deux académies. Il s’agit de produire des nouvelles manières de regarder et de transmettre l’histoire, encore marquée par un contexte de domination.  Les étudiant·es belges et congolais vont se rencontrer 10 jours à Bruxelles et 10 jours à Kinshasa, avec comme objectif d’interroger l’histoire coloniale et le contexte décolonial sur le terrain artistique. Nous voulons aussi comprendre comment s’est construit l’imaginaire colonial. Dans le cadre de ce projet, nous avons aussi rédigé une charte, un texte collectif qui n’est pas un règlement mais plutôt une boussole commune et un cadre de confiance pour créer ensemble dans le respect."

Consciente des asymétries présentées par les différent·es intervenant·e, l’ARES s’engage à agir pour tenter de les résoudre, dépasser les logiques coloniales encore en vigueur et construire des collaborations fondées sur la reconnaissance mutuelle. En 2025, cette volonté s’est traduite par la réalisation de l’Etude Partenariats Equitables, qui a analysé les programmes de coopération, constaté certains déséquilibres et proposé des recommandations. Avec l’objectif de les inclure dans le futur programme de coopération 2027-2032.  

Photos : Cécile Imberechts et Pierre Martinot

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Rapports

  • Décoloniser la coopération au développement par les marges. Synthèse (avril 2022), Projet PSR : Pistes pour la décolonisation de la coopération belge au développement (DBDC),

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  • Africa Charter
  • PSP CLEAR : Producing actionable knowledge to support strategic and operational policymaking processes

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