Universités privées : la fabrique des inégalités, en Afrique, en Amérique latine et en Asie.

Le 20 février 2024, le Midi l’ARES était consacré à la marchandisation et à la privatisation de l'éducation à l'échelle mondiale, une évolution qui concerne particulièrement les pays émergents et en développement.

L’accès à l’éducation est un droit inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, droit qui nécessite que les États en assument pleinement le respect. C’est loin d’être le cas et l’ONU à maintes fois alerté ses membres sur la progression, depuis plusieurs décennies, de la privatisation de l’éducation.

Sous la direction du sociologue de l’éducation, Étienne Gérard, un groupe de chercheur·es a analysé la marchandisation et la privatisation de l’éducation, processus en forte expansion dans divers pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, dont certains sont des pays partenaires de la coopération académique de l’ARES.

Dans ces pays, la création des universités privées est liée à des déterminants économiques, politiques et sociologiques, tout autant qu’historiques. Ces universités, dont la croissance s'est accélérée principalement à l’adoption des politiques néolibérales qui ont investi le champ éducatif, sont désormais de plus en plus hétérogènes et différenciées par des modes complexes de fonctionnement et de régulation. Cette hétérogénéité des universités privées, qui se double d’une forte hiérarchie sociale, économique et politique entre elles, concerne tout autant leur offre éducative que leurs modes de financement, leurs fondateurs et dirigeants, leurs personnels académiques, enfin leurs populations étudiantes. 

Quelle est l’ampleur de la privatisation de l’enseignement supérieur dans les différentes parties du monde ? Est-elle une solution face au sous-financement des universités publiques ? Comment les universités privées contribuent-elles à accroître les inégalités socio-économiques ? Quelle est la qualité de leurs formations et garantissent-elles un meilleur accès au marché de l’emploi ? Comment ces institutions privées obtiennent-elles leur agrément ? 

Ce sont quelques-unes des questions qui ont été posées aux quatre panélistes, lors de cette conférence. Sur la base d’enquêtes conduites auprès des différentes catégories d’acteurs et d'actrices d'universités privées, ils et elles ont analysé la fabrique et la reproduction de ces inégalités, dans des pays aussi divers que l’Argentine, le Mexique, le Pérou, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Vietnam. 

Etienne Gérard

Etienne Gérard, qui a coordonné l’ouvrage, est Directeur de recherches à l’Institut de recherches pour le développement (France). Dans sa communication, il a mis l’accent sur les conséquences de la marchandisation de l’éducation et de sa privatisation, cela au niveau des champs de l’enseignement supérieur eux-mêmes (désormais plus hétérogènes, fragmentés, et hiérarchisés que jamais), et des fractions sociales des étudiants. Il a aussi souligné, entre autres, que, de manière paradoxale, le secteur privé de l’enseignement supérieur a permis, dans de nombreux pays, une augmentation, voire une massification des effectifs étudiants, mais qu’il concourt à une forte accentuation des inégalités et, ce, de manière générale. Il a enfin évoqué diverses analyses illustrant la manière dont ce secteur privé maintient, réduit ou accentue les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, et de réussite à ce niveau d’enseignement.

Maria del Rocio

Maria del Rocío Grediaga Kuri est sociologue, professeure et chercheuse à l'Universidad Autónoma Metropolitana-Azcapotzalco (UAM-Azcapotzalco) au Mexique. Elle est membre fondateur et membre du Groupe de recherche de sociologie des universités à l’UAM. Son intervention a proposé une analyse des caractéristiques du modèle mexicain de l’enseignement supérieur. Dans ce pays, le gouvernement a mis en place des universités multiculturelles, avec l’objectif de réduire la fracture entre les populations qui ont naturellement accès à l’enseignement supérieur (élites urbaines) et les populations qui en sont historiquement et traditionnellement tenues éloignées (communautés indigènes, populations rurales). Cet objectif doit encore être évaluer.

Toutefois, la croissance et la diversification du secteur privé au cours des dernières décennies semblent poursuivre cette tendance de segmentation du système d’enseignement supérieur en fonction du type d’étudiants desservis.

Maria del Rocio Grediaga a également tenté de répondre à la question de savoir dans quelle mesure les différentes institutions du secteur privé — distinguées selon un ensemble de paramètres autorisant leur classification sociale — ont un rôle identique ou différent dans la (re)production ou la réduction des inégalités sociales, en termes de mobilité sociale cette fois, pour les populations locales qu’elles accueillent ?

Pascal Kapagama

Pascal Kapagama, sociologue, est enseignant à l’Université de Kinshasa (UNIKIN) en République démocratique du Congo (RDC). Il est aussi professeur invité à l’UQAM au Canada. Son intervention, centrée le milieu académique congolais, a permis de mieux comprendre la distribution générale des instituts et universités privés, selon les provinces. Il a également analysé le dispositif et le processus d’homologation de ces établissements privés.

Marc Poncelet

Quant à Marc Poncelet, socio-anthropologue, professeur ordinaire, responsable de OMER-Centre de Recherche à l’Université de Liège, son intervention a porté sur l’histoire du développement de l’enseignement supérieur en RDC depuis la fin des années 80, par le prisme de l’opposition public/privé. Ensuite, il a évoqué la difficulté, voire l’impossibilité, de questionner l’inégalité des étudiant·e·s, que ce soit face à l’accès, à la réussite ou à l’insertion professionnelle aussi bien dans le privé que dans le public. Enfin, sa communication a rappelé la fragile gouvernance de l’enseignement supérieur par l’État congolais, tout en insistant sur la position très particulière du corps académique dans la forme corporatiste/concessionnaire de l’État-failli-institutionnalisé qu’est la RDC.

Dans les débats qui ont suivi, les quatre chercheur·es ont échangé avec le public sur, entre autres,  la qualité des formations dispensées par les universités privées et leur contribution à l'insertion professionnelle des étudiantes et étudiants.

Un débat riche en enseignements et un dialogue essentiel sur l'avenir de l'éducation.

Merci à l'assemblée de Midi de l’ARES pour sa présence et pour les nombreuses questions posées, démontrant l'intérêt de cette rencontre.

En savoir +

Livre

L’ouvrage Universités privées : la fabrique des inégalités. Leçons d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, sous la direction d’Etienne Gérard, a été publié aux Éditions Karthala (France) en janvier 2023.

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