La décolonisation des relations internationales, de la coopération et de l’enseignement.

La décolonisation des relations internationales était au centre d’une conférence organisée le 30 mars 2023, par le Centre Placet, l’ONG Louvain Coopération, en collaboration avec le CETRI et l’UCLouvain. La décolonisation de l’écologie, du droit international mais aussi de la coopération et de l’enseignement a été largement évoquée.

Les conséquences contemporaines de l’entreprise coloniale continuent à dominer la géopolitique mondiale. Il ne s’agit pas d’un passé à oublier, d’une page à tourner, mais bien d’une question contemporaine, qui structure le fonctionnement de notre monde.

Les rapports de pouvoir hérités entre-autres de la période coloniale influencent les relations internationales – qu’elles passent par l’aide humanitaire, la coopération au développement ou la diplomatie -, et structurent donc la manière dont les débats sont menés sur les enjeux capitaux de notre époque, comme la gestion de la crise environnementale.

De manière plus spécifique encore, les conclusions d’une étude récente sur la décolonisation de la coopération au développement réalisée par les chercheur·es de l’UMONS, l’UCLouvain, de l’ULB, de l’Université de Gand et l’Université d’Anvers ont permis de constater la continuité de l’ingérence des anciens pouvoirs colonisateurs dans les pays anciennement colonisés, entraînant une perpétuation des logiques de domination et de dépendance.

Cette étude recommande également d’aller vers un « partenariat d’égal à égal », de promouvoir la diversité dans le secteur, de changer la sémantique utilisée, de promouvoir l’anti-racisme et de repenser les représentations misérabilistes du Sud.

Lors de la conférence, aux côtés des divers panélistes, Mara Coppens (DGD), Fred Bauma Etuteli (Mouvement citoyen La Lucha), Bernard Duterme (CETRI) et Liliane Umubyeyi (African Futures Lab), deux enseignants-chercheurs, ont eu l’occasion d’exprimer leur vision de la décolonisation des pensées et d’un enseignement plus inclusif.

Aymar Nyenyezi Bisoka (UMONS)

Aymar Nyenyezi Bisoka (UMONS) a plongé le public dans le Kivu des années 30, dans les sites aurifères de Kamituga, au cœur du système colonial dont le seul dessein capitaliste conduisait à la spoliation des terres et aux pires atrocités humaines.

Dans son analyse, il a rappelé combien ce capitalisme était basé sur la différenciation raciale : lieux de vie différents entre Congolais et Belges, salaires différents, absence de protection sociale pour les Congolais… Pour Aymar Nyenyezi, le droit international, à travers l'histoire, n’a fait que légitimer l’entreprise coloniale et ses violences.

« Parler du décolonial, c’est nécessairement parler de races, a-t-il rappelé dans sa communication. Il faut analyser le rapport entre le droit international et la domination. Et cela est valable pour les questions de migrations, d’écologie ou encore de développement international. Du point de vue décolonial, penser les migrations, l’écologie ou le développement à partir du droit international, c’est forcément intégrer de manière pragmatique la catégorie « races » dans nos analyses de la domination. Du point de vue de l’analyse juridique, cela montre l’existence d’un contrat racial implicite qui permet de comprendre la prise en charge différenciées des vies sur notre planète.

Que nous apprennent ces mondes des suds globaux, ces peuples autochtones qui ont subi l’impact du colonialisme ? Il nous apprennent qu’il suffit d’observer les conditions matérielles de 8 milliards d’êtres humains sur la planète pour se rendre compte que l’état moderne s’est construit sur l’idée du contrat racial, et par conséquent d’une communauté politique où le droit fonctionne de manière différenciée sur base de la race. L’histoire coloniale et le droit international sont pour beaucoup dans la situation de l’homme noir aujourd’hui. »

Lors des débats qui ont ponctué la conférence, en écho aux propos d'Aymar Nyenyezi, Sylvie Saroléa, spécialiste du droit international à l'UCLouvain, a tenu à évoquer  le chantier des politiques d’égalité, de diversité et d’inclusion sur lequel elle travaille pour son université, avec sa collègue Florence Degavre.

« Le défi de l’UCLouvain, a expliqué Sylvie Saroléa, c’est de s’attaquer à toutes les formes de discrimination (racisme, sexisme, validisme) ».

Ce chantier – gigantesque - peut être abordé de diverses manières, notamment celles consistant à souligner les bonnes pratiques pour que l’enseignement, la recherche et le service à la société (les 3 missions de l’université) soient plus inclusifs. Sylvie Saroléa s’est interrogée sur la décolonisation de l’enseignement.

 « A qui enseigne-t-on, aujourd’hui ? A qui souhaite-t-on la bienvenue à l’université ? Quels sont les messages que l’on fait passer ? Car même dans le message « Bienvenue à toutes et à tous », il peut y avoir quelque chose de très supérieur en le prononçant, qui est en quelque sorte un message de « non bienvenue ».

Qui enseigne ? Il faut absolument diversifier ceux qui sont censés représenter le savoir. L’UCLouvain est aujourd’hui une université blanche, dans son corps enseignant. Comment modifier cette réalité… Si nos diplômé·es sont de plus en plus d’origines diverses, pourquoi le plafond de verre reste-t-il bien une réalité en termes de diversité d’enseignant·es. Il faut s’imposer une forme de vigilance, lors de chaque recrutement, de chaque octroi de bourse, de chaque promotion.

Comment enseigne-t-on ? Comment développe-t-on des méthodes inclusives et pas uniquement fondées sur un savoir encyclopédique ? Comment s’adresse-t-on aux étudiant·es ? Toutes ces questions sont sur la table de l’UCLouvain. L’université n’aura pas changé dans un an, mais nous souhaitons que les choses bougent et je constate qu’il y a plus qu’un bruissement dans notre réflexion ».

En organisant cette conférence-débat, le Centre Placet, l’ONG Louvain Coopération et leurs invité·es ont interrogé avec profondeur et réalisme les relations internationales face aux logiques de domination, afin de dessiner les contours d’une coopération au développement plus inclusive. A moins que cette notion de coopération ne cède la place à des initiatives de réparation des injustices ou des inégalités, comme cela a également été évoqué.

En savoir +

  • Visionnez l’entièreté de la conférence Décoloniser les relations internationales et le développement en cliquant ici

Lire aussi