Depuis 1993, les Nations unies célèbrent l’eau afin de prendre conscience de l’importance de cette ressource naturelle et de sensibiliser à la situation des 2,2 milliards de personnes qui vivent sans accès à de l'eau salubre. De nombreux projets de coopération académique interrogent les valeurs humaine, environnementale, économique et sociale de l’eau. En ce 22 mars 2021, à l’occasion de la Journée mondiale de l'eau, interrogeons-nous sur les interventions de l’ARES dans le cadre de l’Objectif de développement durable 6 (ODD6), eau propre et assainissement pour toutes et tous, d'ici à 2030.
L’eau est une ressource épuisable et irremplaçable. Essentielle à la vie, aux sociétés et aux économies, elle est dotée de multiples valeurs et avantages. Mais il est extrêmement difficile de déterminer sa « véritable » valeur, nous rappelle le Rapport 2021 des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, intitulé « La Valeur de l’eau » et publié ce 22 mars.
Ingénieur·es, bio-ingénieur·es, technicien·nes hydrobiologistes, économistes, sociologues, hydrologues, les profils sont variés dans les établissements d’enseignement supérieur (EES) de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), qui ont décidé de consacrer leur vie professionnelle à l’eau. L’eau, comme source de vie et de développement, est une condition préalable à la vie et un droit de l'homme déclaré. Et ces enseignant·es et ces chercheur·es n’ont d’autres ambitions que d’améliorer la gestion des ressources en eau et de permettre un développement durable mondial.
Marnik Vanclooster est l’un de ces experts. Hydrologue à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), il enseigne et mène des recherches nationales et internationales sur l’eau depuis plus de 20 ans. Il coordonne actuellement le projet Water Nexus, un programme interuniversitaire visant à soutenir la coopération belge au développement dans la conception et la mise en œuvre d'une stratégie efficace de l'eau. Entretien.
À gauche, Marnik Vanclooster © UCLouvain
Pour vous, quelle est la valeur de l’eau ?
L’eau est indispensable à la vie. D’une part, l’accès à une eau potable est crucial pour l’homme et d’autre part, l’eau est nécessaire pour soutenir la production économique. L’eau est la ressource naturelle la plus exploitée à l’échelle mondiale et une observation des comportements des gros consommateurs et consommatrices est plus que jamais utile pour la protéger : 80% de l’exploitation de l’eau est destinée à l’agriculture et 40% de cette production agricole se fait dans des régions en pénurie d’eau. Étant donné qu’une grande partie de la population mondiale vit de l’agriculture, cela souligne l’importance du secteur.
L’eau est aussi cruciale pour le secteur de l’industrie. Une étude récente en Flandre indique que 6 jobs sur 10 se situent dans des secteurs très consommateurs en eau. L’emploi est donc fortement dépendant de l’eau.
Au niveau mondial, l’eau est au cœur de l’agenda du développement durable. Si l’ODD 6 est spécifiquement dédié à l’eau, elle se retrouve quasiment dans tous les autres ODD, car l’eau, c’est aussi la sécurité alimentaire et la sécurité énergétique.
Sa valeur économique est donc importante, mais sa valeur écosystémique est tout aussi cruciale. Depuis 250 ans et la révolution industrielle, l’homme a fortement impacté la planète et ce développement économique se fait très souvent au détriment de l’écosystème. Or, l’eau est essentielle pour maintenir les écosystèmes naturels, dont le rôle est vital pour la biodiversité et la résilience de notre planète.
Donc, oui, l’eau a une valeur déterminante, qu’elle soit économique, écologique ou humaine. Sans oublier sa valeur sociale et culturelle, car dans les très nombreux pays où l’eau est en pénurie, la vie des hommes et des femmes y est étroitement liée au quotidien.
Quel est le moteur de votre travail, en tant qu’enseignant-chercheur ?
En tant qu’universitaire, je contribue bien entendu aux trois missions de l’université : enseigner, chercher et proposer des services à la société.
En enseignant à l’UCLouvain, je forme donc des étudiant·es qui seront capables de faire face aux enjeux de l’eau dans le futur. Au sein de ma faculté de bio-ingénieurs, j’ai la chance d’enseigner à des jeunes qui développent des concepts pour résoudre les problèmes liés à l’eau en s’inspirant de solutions proposées par la nature. Ces futur·es ingénieur·es ne sont pas seulement des technicien·nes, mais ce sont aussi et surtout des personnes ouvertes sur les autres disciplines et elles sont en mesure de résoudre les problèmes de l’eau dans sa globalité.
J’interviens aussi dans le secteur la coopération académique au développement. Avec nos partenaires du Sud, nous partageons nos expériences et nos expertises. Je donne cours en Tunisie mais aussi dans d’autres pays du monde. Avec les cours à distance et les MOOC, je peux intervenir sur des thématiques très spécifiques.
Je fais également de la recherche et je travaille principalement sur la problématique de l’eau dans le secteur agricole et plus précisément sur la relation sol/eau. Il s’agit d’une relation complexe ayant une incidence sur la régulation climatique, sur les flux hydrologiques, la filtration et la qualité des nappes phréatiques.
Enfin, pour soutenir la société dans laquelle nous vivons, nous diffusons notre know-how, via des publications, via des conseils scientifiques au monde politique sur la gestion de l’eau… Tout cela contribue au renforcement des capacités à résoudre les problèmes liés à l’eau.
Quels sont les principaux défis que l’homme doit relever pour protéger cette ressource ?
Ils sont nombreux. Avec Water Nexus, qui a été développé avec l’ARES dans le cadre du programme Policy Support Research (PSR), nous en avons identifié sept.
Il y a d’abord l’assainissement, l’épuration et la distribution de l’eau à l’échelle d’une population locale. Il faut savoir que deux milliards d’êtres humains n’ont toujours pas accès à l’eau potable ou de bonne qualité. Quatre milliards n’ont pas accès à des services d’assainissement améliorés (latrines, salles de bain, etc.) et trois milliards ne peuvent pas se laver les mains régulièrement. À l’heure de la Covid-19, ce dernier point est particulièrement significatif.
Un deuxième défi est la distribution irrégulière de l’eau engendrée par les problèmes de sécheresse. La Belgique y est confrontée depuis 3 ans et nous voyons concrètement en quoi consiste le problème. Pour vous situer le défi, retenez qu’en 2050, 6 des 10 milliards d’habitant·es que comptera la planète seront situé·es dans des régions en pénurie d’eau.
Le troisième enjeu concerne la qualité de l’eau. Depuis la révolution industrielle, le monde de l’industrie influence fortement le système hydrique. Partout dans le monde, on retrouve des traces de pollution (pesticides, résidus pharmaceutiques) et cela pose des problèmes majeurs à long terme.
© V. Prosper
Le changement climatique est le quatrième enjeu et il se répercute sur l’eau via des catastrophes naturelles à répétition : inondations, ouragans entrainant des crues ou des coulées de boue, etc. S’adapter à ce changement est un challenge important.
Un cinquième défi, peut-être moins perceptible, est celui de la gouvernance de l’eau. Dans nos pays, les systèmes institutionnels ne sont pas adaptés et, par conséquent, les mécanismes de gouvernance ne sont pas cohérents. Voyez la Belgique où l’eau est une matière régionalisée. Les cours d’eau coulant en Belgique connaissent-ils les frontières et les réglementations spécifiques aux Régions ?
Le sixième défi est d’ordre financier. La construction et la maintenance d’infrastructures (barrages, etc.) coûtent cher et dans ce domaine les investissements sont inférieurs aux nécessités.
Enfin, le septième et dernier défi est scientifique. Si les compétences sont disponibles et si elles peuvent aujourd’hui s’appuyer sur les nouvelles technologies (big data, smart technilogies, télédétection, etc.), les données historiques et prévisionnelles ne sont toutefois pas toujours disponibles et empêchent une gestion optimale de cette ressource naturelle.
Quel est l’objectif de Water Nexus, ce programme interuniversitaire géré par l’ARES ?
Malgré l’importance de l’eau, nous avons constaté que seule une petite partie du budget est consacré à la problématique de l’eau, à savoir 4%.
Au sein du monde académique, nous avons fait le constat que la capacité belge à gérer les problématiques de l’eau existe, mais qu’elle est dispersée, peu valorisée et faiblement mobilisée pour réaliser avec efficacité des activités de coopération au développement.
L’objectif du programme PSR vise à fournir des conseils aux autorités et à renforcer les capacités belges, aussi bien dans le monde politique, privé et associatif, dans le secteur de l’eau. Le PSR Water Nexus a travaillé sur quatre axes : une cartographie des acteurs, une cartographie de leurs activités, la production d’outils pour rendre le secteur de l’eau plus visible dans le domaine de la coopération, notamment le Water Toolkit qui offre une série d’outils et conseils utiles pour les acteurs chargés de développer et mettre en œuvre des projets ciblés sur l’eau.
Enfin, le quatrième axe est le développement d’une vision à long terme qui doit permettre à la coopération belge de pouvoir faire la différence. C’est ainsi que nous avons développé une stratégie de l’eau élaborée de manière inclusive. Cette stratégie est maintenant entre les mains de la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) et de l’administration de la Coopération belge au développement. Pour rappel, ce projet est terminé depuis le 31 décembre 2020.
Marnik Vanclooster, que faites-vous comme geste symbolique en cette Journée mondiale de l’eau ?
Je m’associe au Water Challenge de l’ONG belge Join For Water et je vais m’aligner sur les propositions qu’ils avancent pour interroger notre profil de consommateur et consommatrice. Ce lundi 22 mars, je ne vais donc pas manger de viande, je vais prendre une douche froide de 30 secondes ce qui est bon pour la santé et qui permet de consommer moins d’eau et d’électricité. Enfin, je vais donner quatre heures de cours aux bio-ingénieur·es et aux étudiant·es du master complémentaire d’hydrologie tropicale.
La distribution d’eau en milieu rural, enjeu d’une Synergie entre Join For Water et l’UCLouvain
Join For Water et l’UCLouvain sont aussi associés sur un projet d’Appui à la gestion des services de distribution d'eau potable dans le monde rural en Haïti.
© Sandra Soares Frazao
Dans le cadre d’une Synergie, les deux acteurs, l’un académique et l’autre associatif, ont unis leurs expertises pour développer et opérationnaliser, en partenariat avec l’Université d’État d’Haïti, un outil issu des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) afin de contribuer au renforcement de la gestion des services d’approvisionnement en eau potable.